lundi 30 octobre 2017

Grand Raid de La Réunion 2017-Point de vue de l'assistance.

Lorsque Ln s'élance sur le front de mer de Saint-Pierre jeudi soir à 22h, elle ne connait pas les péripéties à venir de sa course et encore moins si elle va réussir à parcourir 165km en moins de 66h. Des soucis gastriques l'ont poussé à abandonner l'an passé au tiers du parcours, elle ne souhaitait pas y revenir.
Les semaines ont passé, des amies du club lui ont fait part de leur expérience respective face à l'échec sur un ultra et comment elles sont reparties pour vaincre ce terrible trail considéré comme l'un des trois plus durs au monde.
Elle s'est inscrite sans passion, a été tirée au sort, s'est entrainée moins intensément et avec moins de pression. Jusque là, son année sportive avait été marquée par un premier marathon sur le parcours de St-Paul en avril.
Ln doutait tant de ses capacités à finir faute d'un entraînement sérieux disait-elle qu'elle assurait même qu'elle était susceptible de ne pas se présenter sur la ligne de départ.
La première compagnie n'assiste pas au départ ou l'ambiance est folle et porte les coureurs à des vitesses élevées dans les premiers kilomètres ; il est déjà parti vers Domaine Vidot, lieu du premier ravitaillement. Il a rendez vous avec d'autres membres de Deniv' qui assistent les coureurs du club.
Ln arrive plus vite que l'année dernière. Les bidons sont remplis, le change de vêtement effectué, il fait doux. Elle quitte la route et entame le sentier au milieu de centaines de fous qui ne souffrent pas encore...
Ce premier devoir accompli, le principal supporteur d'Ln monte ensuite en Zoé vers la plaine des cafres, gare son véhicule dans le chemin près du lieu de passage des coureurs, bascule le fauteuil de son véhicule pour dormir trois heures dans son sac de couchage. La lumière du jour plus que l'alarme du portable le sort du sommeil. Il se force à manger et à boire. Il faut tenir et, comme les participants, se nourrir. Les Phacos se succèdent, il les signale à l'assistance club de Mare à Boue situé moins de quatre kilomètres plus loin. Cela permet entre autre de préparer une réparation de fortune sur un sac endommagé d'un coureur du club. Ln arrive en marchant, moins marquée que l'an dernier. Aucun problème n'est signalé. Le temps n'est pas froid, il ne pleut pas, les chemins sont secs. Elle anticipe un changement de chaussures ; tout le matériel étant dans la voiture, cela ne pose pas de souci logistique. La première compagnie s'exécute. La nourriture était prête ainsi que les boissons de l'effort. Il s'agit juste d'être à l'écoute et d'éviter que l'arrêt ne dure trop longtemps. Rien ne vient perturber la routine du ravitaillement si ce n'est quelques informations échangées, la forme des autres qui sont déjà passés d'un côté, la description des paysages magnifiques du côté de Nez de Boeuf de l'autre.

La route est longue, Ln poursuit son chemin à travers les pâturages vers le cirque de Cilaos. La première compagnie range les affaires dans l'auto, le sale et les déchets d'un côté, le reste ordonnancé dans les cartons et sacs. Sur la route, il gonfle la pression de ses pneus de voiture. A Saint-Pierre, pendant que la voiture est en charge, il achète de l'eau plate et gazeuse, prend des nouvelles de sa fille et en donne aux deux aînés vivant en métropole et légèrement titillés par l'exploit en cours de leur maman. Il monte sereinement vers Cilaos, la vitesse est lente derrière un bus. Là bas, l'attend le second dispositif club. Cette année, sous la tonnelle, les coureurs de Deniv' sont choyés. L'ambiance est excellente avant le pointage et les spectateurs nombreux ; Cilaos est un lieu de passage de trois des courses du Grand Raid. La première compagnie se gare sans difficulté proche de l'aire de ravitaillement. Ln arrive dans les temps prévus. Elle ne se plaint pas de la descente qu'elle vient d'effectuer, exercice qu'elle n'apprécie guère tant elle s'y sent mauvaise. Elle se permet d'effectuer une toilette sommaire en plus du change et d'un repas. Il y a le choix sur les tables et il faut se laisser tenter par ce qu'on aime. La première compagnie lui précise qu'elle a déjà été plus loin que l'an dernier. Un peu plus d'une heure plus tard, Ln quitte le confort et les petits mains du club pour attaquer la montée vers Mafate.
La première compagnie remballe et retourne vers Saint-Denis. Il y arrive avec deux kilomètres d'autonomie...une quasi perfection dans la gestion des ressources disponibles et du temps. Il prépare le repas pour sa fille, sort les chiennes, vide l'auto puis fait le tri pour la remplir à nouveau. Il s'agit de recharger les batteries au sens propres...mais les quatre premiers bornes rapides visitées semblent défectueuses. D'autres ne sont plus accessibles à cette heure avancée du vendredi soir. Après une dernière tentative, celle de la concession Renault veut bien délivrer ses électrons ! Lorsque l'indicateur affiche 99%, il prend la route vers Salazie et sentier Scout. A minuit, il arrive devant la barrière qui ferme la route. Il patiente et par chance un véhicule libère une place, il n'a pas besoin de s'éloigner. Il faut quand même marcher une dizaine de minutes avant de rejoindre le poste de pointage chargé comme une mule : la glacière sur le dos et un sac dans chaque main. Ln parait, souriante. Il y a du vent, elle ne reste guère et effectue le ravitaillement rapidement. Elle a dormi à Marla une heure. Elle se sent bien. L'assistant lui indique qu'elle est à mi-course, que ce qu'elle a fait est très bien et qu'elle peut continuer !
Jusque là, la forme était là. La route du retour en voiture de Grand Îlet vers le chef-lieu sera pénible, il faut lutter pour de ne pas s'endormir et assurer le reste de la mission  : aider Ln a finir le Grand Raid, objectif à long terme qui a justifié l'inscription en club il y a six ans.  Il se donne des claques et fixe l'enjeu dans son esprit : il ne s'agit pas de se foutre en l'air maintenant. Il arrive à quatre heures du matin, s'effondre habillé sur son lit non sans avoir dans un dernier geste programmé l'alarme trois heures plus tard. Au réveil, il se rend au Stade de la Redoute pour assister à l'arrivée en héros du coach. Il croise un camarade de club, ils décident d'aller ensemble au Maïdo. La première compagnie est rassuré, la route sera moins pénible. La recharge complète de la batterie à Saint-Paul est l'occasion d'acheter deux bouteilles de Coca et un taboulé, demande express d'ln à fournir à la prochaine rencontre.
La Zoé ne peine pas dans les lacets vers le Maïdo, la puissance électrique est tout de suite disponible au sortir des virages. C'est un excellent véhicule d'assistance. A l'approche du sommet, les voitures se bousculent sur la route forestière, certaines sont mal garées et gênent le flux. Un bus est coincé. Les familles sortent chargées de paquets et de sacs. Cette course est l'occasion d'une sortie et d'un pique-nique avant de soigner, nourrir et d'encourager le coureur que l'on suit. Il faut marcher du parking vers le lieu de ravitaillement du club. Le temps est couvert. Les deux compères passent devant la fin du chemin qui extrait les coureurs du cirque Mafate. L'ambiance est extraordinaire, on croirait être au col du Galibier pendant le tour de France. L'assistance club est bien installée après le pointage et la vue dans le cirque est magnifique. Ln téléphone pour se faire préciser où nous sommes ; elle montre des signes d'impatience et donc de fatigue. On envoie un bénévole à sa rencontre pour la guider. Son avance sur les barrières horaires est large, elle reste suffisamment longtemps pour se nettoyer, se changer complètement, se faire masser, dormir quelques minutes, manger le taboulé et boire un coca frais. Elle repart sous les hourras des bénévoles du club et des coureurs qui s'attardent. "Avance le plus possible tant qu'il fait jour !" est le seul conseil qu'elle entendra de la première compagnie.
Le retour vers la voiture est très agréable sur un chemin dans la foret du Maïdo.


L'école de La Possession est le point de rencontre prévu suivant. Pourtant Ln appelle à Sans-souci pour savoir si elle verra son mari. Elle n'en est plus sur...un signe de fatigue supplémentaire. Au début de cette troisième nuit de course, elle affronte la descente très technique de la Kalla. Tenant une vieille promesse, le responsable de l'assistance part à sa rencontre. Il la ramène à minuit passé. Elle est maintenant très fatiguée. Elle a une petite ampoule, cela sera le seul bobo à ses pieds ! Elle souhaite dormir. Après avoir été massée, on la laisse fermer les yeux quarante cinq minutes. Le réveil est lent, elle enfile péniblement son sac. La photo au milieu de deux camarades avant de s'y remettre lui arrache un sourire forcé. "Dans huit kilomètres, on se retrouve ! " Elle s'enfonce dans la nuit sur le chemin des Anglais.

La première compagnie dort un heure à la Grande Chaloupe, puis il s'assoit sur un rocher au débouché du chemin. Il a peur de s'endormir et de ne pas voir Ln. Il n'aura pas le temps de se rendormir. La voilà qui sort du noir. Optimiste, il ne s'attend pas à cette réponse à la question "Comment ça va ?".
"Pas du tout ! Je ne vois rien, mes frontales n'éclairent pas, je penche à gauche à cause de mon oreille interne ! Je ne sais pas où mettre mes pieds à chaque pas. Je ne sais pas comment je vais pouvoir finir. Elle pleure. La première compagnie lui tient la main pour marcher jusqu'à la voiture. Pendant la pause, il s'agit de ne pas prendre froid en cette fin de nuit. Il pense au coach et à ce qu'il aurait fait dans cette situation... Il lui demande si elle veut du Coca. Elle répond par l'affirmative. Il l'invite à boire la bouteille d'un demi litre entièrement. Ensuite, il l'a fait respirer pour qu'elle retrouve son calme et un semblant de lucidité. Elle inspire par le nez, souffle par la bouche à un rythme lent plusieurs fois. Les mot sont posés sans heurts "Tu as déjà parcouru 153km, il t'en reste douze seulement. Ne pense à rien d'autre qu'à mettre un pied devant l'autre." Il lui dit maintenant qu'il faut y aller. Sortie de la voiture, Ln ne sait pas dans quelle direction marcher, elle est désorientée. Il l'accompagne sur le plat avant la montée. Ln a du mal a poser les pieds sur les traverses de la voie ferrée, passage obligé vers le pointage. "Mais pourquoi nous font-ils passer par là ?". C'est une question qui n'aura pas de réponse. Avant d'entamer la seconde partie du Chemin des Anglais vers le Colorado, elle s'entend dire "Dans 45mn, le jour sera là, cela ira beaucoup mieux, tu retrouveras tes repères visuels. Le Coca te permet de tenir jusqu'au jour. Mets un pied devant l'autre !"
L'inquiétude maintient la Première Compagnie en éveil. Coups de fil et messages sont échangés avec la famille et les camarades de club. Elle verra des visages connus au Colorado. Cela l'apaise quelque peu. Il rentre à la maison, s'occupe des animaux, vide la voiture une dernière fois et ne garde qu'un T-Shirt propre et une paire de claquettes imaginant ce dont elle aurait besoin à l'arrivée. Il réveille sa fille pour qu'elle vienne voir sa mère en finir. On l'informe de son passage au Colorado. Elle semble aller bien, le jour et le coca ont produit leur effet. Dans moins de deux heures, elle en aura fini !
L'attente au Stade de La Redoute est interminable. Il fait un temps magnifique, beaucoup de monde est là pour féliciter les coureurs qui en finissent. Les amies de club d'Ln décident d'aller à sa rencontre sous le Pont Vinh-San, un autre grimpe quelques hectomètres plus haut. La première compagnie ne sait plus où se placer pour l'attendre, va et vient partout dans l'immense aire d'arrivée des quatre courses du Grand Raid. Il passe un message au camarade parti à la rencontre d'Ln : "Donne du rythme à la descente pour qu'elle finisse en moins de 60 heures". Il croise le coach qui a fait l'effort de venir, lui qui a fini à la première place de sa catégorie après un course d'anthologie vingt quatre heures plus tôt. Les notifications sms, de Facebook, de Whatsapp éclairent son téléphone portable frénétiquement. Il sait qu'elle arrive, elle a pointé à la Citerne. Il est déstabilisé par le moment à venir qui va mettre fin à tant d'efforts. Des années d'entrainement à forger son corps, des mois de sorties spécifiques pour le pousser dans les montées et apprendre à descendre plus vite, un abandon cruel l'an dernier sur cette même course, trois nuits et deux jours et demi pour traverser l'île intense du sud au nord. Il imagine ce qu'elle va ressentir : la délivrance. Il donne l'appareil photo à Philippine avec quelques instructions de cadrage, se place face à la dernière ligne droite, quelques mètres après les tapis qui enregistrent le passage des puces électroniques et arrête le chronomètre. La voilà qui parait après le virage de la piste d'athlétisme, il reste cinquante mètres. Entourée, applaudie, encouragée, elle marche et prend son temps pour savourer ses derniers pas sur un ultra. Elle rayonne, un immense sourire illumine son visage qui ne parait pas fatigué à cet instant. Elle passe la ligne lentement en levant les bras au ciel à l'invite de la première compagnie. Il tombe dans ses bras et pleure, cela lui a semblé tellement dur. Ln est transportée par la joie.
Elle récupère son T-shirt finisher et sa médaille. La première compagnie lui passe les deux autres médailles autour du cou qui complètent la trilogie des courses du Grand Raid de la Réunion : Mascareignes 2013, Trail de Bourbon 2014, Diagonales des Fous 2017. Elle embrasse maintenant tous les amis du club et les cousins. Ils sont nombreux. Quel bonheur d'être entourée par tant de monde et de partager ce moment de bonheur.
Cette course est magique par sa difficulté, par les paysages uniques parcourus et parce que toute l'île vit au rythme des coureurs. La famille, les suiveurs, les assistants peuvent être proches d'eux à de nombreux points de passage dans la course. S'ils sont utiles pour aider les coureurs à supporter les petites douleurs et les grands moments de détresse, ils n'existent que par eux. Sans coureurs, il n'y a pas d'assistance. Merci à eux et à Ln !
#fierdln







mardi 26 septembre 2017

Marathon de Berlin 2017

Si j’avais du écrire ce récit immédiatement après la course, il aurait été sensiblement différent. Les idées négatives étaient présentes sur le fin du parcours et quelques temps après avoir franchi la ligne d’arrivée. 
J’ai commencé à parler du marathon de Berlin en janvier 2016. Je ne l’avais jamais couru, cela aurait été ma dernière course en Masters 1 et surtout c’est un parcours et des conditions idéales pour performer. Je m’y suis inscris avec le projet ambitieux de battre mon record (3h16’55’’).
J’ai effectué la préparation la plus exigeante qui soit et elle s’est bien déroulée puisque j’ai retrouvé sur des séances de fractionné des temps d’il y a quatorze ans, ma meilleure année. J’ai perdu du poids et ajouté une préparation mentale. L’hiver austral aux températures tempérées a été propice à ces résultats encourageants. 
Dans mon voyage, j’ai embarqué une camarade de club qui rêvait de franchir la porte de Brandenburg en courant. 
Je suis arrivé à Berlin après un sas de récupération de trois jours à Paris ; le vol de plus de onze heures de La Réunion est un vrai casse-pattes. J’ai retrouvé beaucoup d’amis en région parisienne ce qui a donné un motif de satisfaction supplémentaire à ce périple sportif. On a été très chaleureux avec moi.
A Berlin, le dossard a été retiré dès vendredi pour éviter les longues queues du lendemain au salon du marathon qui ne présentait aucun intérêt. 
Samedi a consisté, comme il se doit, à ne rien faire…si ce n’est une courte sortie pour aller voir le fils d’une cousine courir le mini-marathon de 4,219km. J’ai pourtant attrapé froid ce jour là sans être trop inquiet pour autant car je n’avais pas de fièvre. Je me suis nourri convenablement de blancs de poulet et de pâtes complètes al dente jusqu’à samedi soir. J’ai bien dormi et j’ai senti que le coup de froid passait. Effectivement au réveil de six heures dimanche, le mal de tête avait disparu et la gorge n’irritait plus. 

L’hôtel est proche du départ, nous nous y rendons à pied. Le temps est couvert, la brume enveloppe la ville et il fait une température idéale. L’organisation est efficace et les bénévoles sont au petits soins avec les coureurs. Dans la sas ou les coureurs patientent, des écrans géants présentent les stars. Le plateau est magique, les trois meilleurs coureurs de tous les temps sur marathon sont là et le public attend que le record tombe ! Je m’échauffe légèrement avec quelques sautillements suivis de courts étirements actifs. Je pense à tous les efforts consentis sur la piste de Champ-fleuri et autour du stade de St-Paul. Je vois le groupe de course sur route, qui s’est pris au jeu de mon record à battre et m’a emmené sur maintes séances vers la performance. Je me remémore les messages de soutien sur les réseaux sociaux Tous ces regards me font porter une responsabilité. Je chasse ce trop plein d’émotion dévoreur d’énergie. Je me concentre, conformément à ce qui a été mis en place avec le coach mental. Je replace l’objectif au centre de mes attentions. Je poursuis l’échauffement avec la musique rythmée crachée par les enceintes. J’enlève la polaire et le cuissard qui m’ont maintenu au chaud, pisse une dernière fois dans une bouteille à une minute du départ. Je suis prêt. 
Le coup de feu claque, je passe la ligne moins de deux minutes après l’avoir entendu. Il commence à pleuvoir, je n’ai pas froid en débardeur et short. Si l’eau sur le corps ne me gène pas, j’évite néanmoins les flaques formées ici ou là pour ne pas mouiller mes pieds. Je commence très rapidement à transpirer, puis cela cesse après trois kilomètres. J’ai éliminé définitivement le coup de froid. La densité des coureurs est forte dans les premiers kilomètres, il faut rester attentif. Au premier ravitaillement, j’évite la cohue en visant les ultimes tables. Il en sera ainsi pour chaque prise d’eau ce que me fait perdre un minimum de temps. 
Je cale mon allure définitivement en ralentissant un peu,  il s’agit de ne pas se laisser griser par l’ambiance et les autres coureurs forcement frais. Je ne porte aucune empathie aux rares participants arrêtés sur le côté, l’un se tenant le mollet, l’autre massant sa cuisse. C’est bien tôt pour être blessé, tant pis pour eux. Je pense que cela ne m’arrivera pas car j’ai confiance dans le plan de Johny et que je n’ai pas été amoindri par les blessures même légères pendant la préparation qui a été chargée. Je suis pris en photo au 6km par la responsable du tour opérateur avec lequel je suis venu. J’essaye de rester calé sur la ligne bleue peinte au sol, fil parfait des 42,195km. 
Au 12, 15 et 20ème, ma cousine, résidente à Berlin, m’encourage bruyamment. Je passe aux horaires annoncés, la flamme des meneurs d’allure en 3h15 toute proche. A chaque ravitaillement, je me force à prendre de l’eau et je pense à Johny « Bois, bois, bois !» m’a-t-il répété pendant les sorties longues. Je m’exécute de façon automatique. Depuis le dixième kilomètre, la cuisse gauche s’est à peine tendue, je reste calme et me surprend à constater que je suis parfaitement régulier et que la respiration est lente. Le travail mental paye. Je franchi le semi avec sept secondes de retard : une broutille. La méthode Coué a fonctionne à merveille jusque la mi-course. 
Je veux maintenant tester ma fraicheur, il s’agit de combler l’écart avec les meneurs d’allure, ils sont à 30 mètres tout au plus. Rien ne vient…pas de jus. Au 25ème, les secondes au delà de l’allure objectif filent en plus grand nombre. Au 27ème, j’ai un coup de mou. Je prends un peu de gel, cela me fait du bien. Au 30ème, j’ai moins de deux minutes de retard sur l’objectif et peux encore battre mon record si le mal passe. Mes jambes sont douloureuses, mon genoux droit semble céder par instant. Les kilomètres défilent sans m’en apercevoir. Ma cousine, qui s’est prise au jeu de la supportrice, apparait de nombreuses fois sur le parcours allant avec son vélo m’encourage du mieux qu’elle peut avec beaucoup d’enthousiasme.

Au 37ème, je ne suis plus dans le coup et me fait maintenant doubler par la très grande majorité des coureurs. Je prends le mur, violemment. Je me fixe d’autres buts, me redresse, respire tranquillement, continue à boire. Il me reste plus que ma dignité à défendre. Mon chrono me la renvoie à la figure : le dernier kilomètre sera le plus lent et le seul sous les 10km/h. Pendant cette dernière demi-heure, j’ai fait le deuil de la performance sur cette distance mythique. Je dois accepter que j’ai vieilli, que je ne vais plus aussi vite, que je ne suis plus aussi souple. Cette réalité là est la plus difficile à encaisser. Le cap du demi-siècle est vraiment une épreuve à laquelle on ne peut se préparer.
Je passe sous la porte de Brandenburg en levant à peine la tête vers la statue en bronze qui la surmonte. Je m’apercevrai le lendemain en visitant la ville en bus que je n’ai remarqué aucun des monuments que nous avons longés. Même pas la colonne de la victoire pourtant au départ de la course. J’ai créé une bulle hermétique à ce qui m’entourait ; j’ai été indifférent aux multiples orchestres sympathiques, à la la foule de supporteurs venue en nombre se mouiller dans la fraicheur d’un matin d’automne et aux bâtiments notables.  J’ai été peu touché par l’environnement de la course. J’ai été à peine heureux en passant la ligne d’arrivée. 

Que restera-t-il de ce marathon ? En relativisant ma déception immédiate, je le réalise sous les trois heures trente. Ce temps est le meilleur des cinq derniers marathons depuis que j’ai repris la course sérieusement fin 2011. Sur onze marathons courus, c’est mon cinquième meilleur à une seconde de mon quatrième temps, il y a treize ans ! Je retiendrai sans doute une préparation exceptionnelle qui a remis au centre de l’activité sportive l’humain. Je suis déjà prêt à retourner à l’entrainement pour sentir cette appartenance au groupe et réaliser la passe de six. Après Londres, New-York et Berlin, courir Boston Chicago et Tokyo pour recevoir la super médaille des majors. Chiche !







mercredi 2 août 2017

Kouzinage Asiatique 3 : Singapour

Singapour
Terminer notre périple asiatique par Singapour était une excellent idée d'Ln; elle ne le savait sans doute pas.
Cette cité-état rejetée à son indépendance par la Malaisie à laquelle elle voulait être rattachée a développé un modèle économique profitable qui en fait une place incontournable en Asie du sud-est. Elle possède maintenant le revenu par habitant parmi les plus hauts du monde sans ressource naturelle. Commerce, finances et raffinage pétrolier sont le triptyque de cette réussite extraordinaire.
Ce qui frappe le visiteur en premier à son arrivée à l'aéroport est la quiétude du lieu :  un mur végétal et des arbres dans le hall, de la moquette au sol, un passage au contrôle policier tout en douceur et rapide. Nous sommes loin de la fureur de l'aéroport de Shanghai où la masse de voyageurs est maîtrisée avec difficulté à tel point qu'il nous avait fallu plus de une heure trente pour s'acquitter des divers contrôles et nous étions montés dans l'avion cinq minutes après son heure de départ théorique...
Par les vitres du métro d'une propreté exemplaire, on aperçoit la ville et nous sommes surpris. Nous avons là une des densité humaine les plus fortes du monde et il y a de l'espace et de la verdure. De grands arbres, des fleurs, de l'herbe.
Les immeubles sont certes nombreux et de grande taille. Nous apprendrons plus tard que les grands numéros qui servent à les distinguer indiquent des logement sociaux. Rien n'est laid dans leur architecture, Ils sont parfaitement entretenus. Les espaces collectifs sont en bon état et des aires de jeux agrémentent la vie des petits.
Les boulevards sont larges et il semble qu'il y ait peu de bouchon. Le prix des voitures est exorbitant ainsi que le permis pour les conduire. En contrepartie, les bus et le métro zèbrent la ville de part en part. Ils sont peu couteux, réguliers et fonctionnent tard. Certains trottoirs sont protégés du soleil tropical par des auvents. Les conducteurs sont extrêmement respectueux des piétons sur les passages protégés. 
Nous logeons dans un quartier vivant. Lorsque la nuit vient, les restaurants les plus divers sont pleins, tous les magasins sont ouverts et commercent. Le supermarché au près du quel nous nous sommes approvisionné offre ses denrées sept jours sur sept et vingt quatre heures sur vingt quatre. Les vendeurs de fruits et légumes ont leur réputation et propose le fameux Durian en quantité. Ce fruit pue ! A tel point qu'il est interdit de le transporter dans le métro. Un causasien non initié lui trouvera un gout de vomi et d'égouts. Il est apprécié et consommé en grande quantité.
Clément notre Kouzin de Singapour nous emmène manger Thaï. Une fois encore, nous sommes heureux par cette nouvelle découverte culinaire. Il nous explique que l'on peut trouver tout type de cuisine à Singapour. Nous avons aussi mangé indien végétarien, chinois et local. Manger à l'extérieur de chez soi semble être un loisir apprécié sans doute parce que les intérieurs des appartements sont petits compte tenu du prix faramineux des logements. La diversité de la population amène la diversité des cuisines.
Pendant les quelques jours de notre séjour, nous avons vu le zoo, le quartier indien puis chinois presque sans intérêt tant les commerces systématiques masquent les façades rénovées de maisons anciennes. Nous avons flâné dans le Garden by the bay, espace pris sur la mer et magnifiquement aménagé ainsi que dans des serres extraordinaires de variétés qui offrent des points de vue spectaculaires sur la ville.

Les habitants de cette ville sont d'une gentillesse notable. Volontiers aidant, ils vous apportent spontanément leur concours et sont respectueux. On laisse descendre tous les usagers de la rame en restant au-delà des marquages du quai prévus à cet effet. Ce comportement est sans doute un mélange de l'héritage britannique, du raffinement du sud-est asiatique et de l'autoritarisme politique qui condamne sévèrement les manquements. Singapour est une ville sure sans crime, ni délit. 
L'anglais est utilisé par tous. Les trois autres langues officielles, le tamoul, le chinois, le malais rappellent l'origine des habitants qui pratiquent leur foi dans les églises, temple bouddhiste et hindou. Le neuf aout a lieu la fête nationale de Singapour qui a à peine plus de cinquante ans. Le culte de la nation est très présent. Des milliers de drapeaux flottent aux balcons depuis de nombreux jours. On répète la parade aérienne plusieurs fois longtemps à l'avance et même le feux d'artifice est tiré à maintes reprises pour être certain qu’il illuminera le ciel sans fausse note, à l’image d’une nation qui se veut parfaite. 

Merci à notre Kouzin Clément d’y travailler et d’y vivre, nous donnant ainsi l’occasion au prétexte de lui rendre visite de découvrir cette belle ville au coeur de la globalisation.
 





























samedi 29 juillet 2017

Kouzinage Asiatique 2 : Shanghaï

Shanghai
Contrairement à Hong-Kong qui est une « région spéciale » depuis sa rétrocession par la Grande-Bretagne, il faut un visa pour entrer à Shanghai, capitale du sud-est de la Chine continentale. 
Arrivés en début de soirée, nous avons rendez-vous à l’aéroport avec notre Kouzin Nicolas et sa famille. Pour se rendre chez lui plus d’une heure de voiture est nécessaire. Nous ne voyons rien de la mégapole ; nous nous rendrons compte lorsque nous ferons le chemin inverse de jour des dimensions de ce que nous traversons. A perte de vue, des immeubles d’habitation de très grande taille, des centres d’affaires et des parcs d’activités.
Les voies routières sont larges et la circulation est dense. Si les véhicules ne roulent pas vite, la conduite obéit à peu de règles formelles. Nous constaterons plus tard que traverser en tant que piéton demande une vigilance accrue. Les deux roues n’ont cure des feux. Comme ils sont électriques, leur bruit n’alerte pas. Imaginer les Chinois se déplaçant à bicyclette est une image d’Epinal aujourd’hui disparue. Le parc automobile est récent et les modèles sont ceux d’une ville riche. Ceux qui ne disposent pas d’un véhicule ou qui n’ont pas payé le permis fort cher permettant d’accéder au centre de la ville se déplacent en surface en scooter électrique ou en sous-sol en métro.
Le lendemain notre première activité consiste à aller chez un tailleur pour acheter costume et chemises sur mesure à prix défiants toute concurrence et réalisés en cinq jours. Non loin de là, nous trouvons le Bund et ses immeubles européens du début du XXème siècle et parcourons l’ancien chemin de halage du fleuve aménagé en quai piéton en face des plus grands immeubles de la ville, c’est spectaculaire !
Il y a peu de monde car Il fait une forte chaleur. C’est le mois le plus chaud de l’année et la semaine qui vient est annoncée comme caniculaire. 39° sera le plus haut avec un ressenti à 51° à cause de l’humidité. Il y a peu d’air et les immeubles accentuent la fournaise. En dix minutes, nous sommes trempés de sueur au sens premier du terme. On cherche le frais dans les halls, le métro, les musées et il faut boire souvent. Se balader dans le quartier de l’ancienne concession française est plus agréable. On y a conservé de magnifiques demeures des colons européens. Les rues sont bordés de platanes, héritage français, qui offrent une ombre généreuse. 
La pollution est présente. On ne distingue pas les contours de la ville du haut des tours et le soleil déclinant disparait avant d’atteindre l’horizon. Dans beaucoup de lieux, l’air est purifié. Dans ces conditions, courir dans une salle de sport sur un tapis, même une heure quarante-cinq est salutaire. 

Shanghai est une ville immense, neuve, pensée pour permettre à chacun d’y habiter et de se déplacer pour se rendre à ses occupations. Le métro est un modèle. Bon marché, il est dimensionné pour les millions de travailleurs quotidiens. Dans les rames dont on ne voit pas les extrémités, il a peu de places assises ; on voyage debout. Partout, des agents donnent des consignes pour fluidifier le flots d’usagers et ainsi optimiser l’espace et maximiser la vitesse. Les boulevards urbains sont doublés par des voies rapides surélevées. Les distances dans cette ville de trente millions d’habitants sont infinies. Se déplacer prend du temps.
On cherche en vain une architecture typique chinoise. Les vieux habitats ont été remplacés par des immeubles à grande hauteur. Quelques pâtés de maisons anciennes et de petites boutiques subsistent ici et là en attendant d’être prochainement détruites. C’est un art de vivre qui disparait et cela ne semble pas affecter les chinois portés qu’ils sont par la croissance économique dont la plupart profite. Autour du magnifique jardin Yu qui attire la foule, on trouve enfin les maisons de notre imaginaire chinois. Tout est reconstitué à l’identique et la patine du bois est celle d’un parc d’attraction. Si le musée de Shanghai est de toute beauté, le musée des sciences est une déception. Pour s’y rendre à partir du métro, on traverse un vaste espace de boutiques où tout est faux ! Les maillots de football et les chaussures de sport à la mode, l’électronique grand public, les sacs et les montres de luxe, les jouets de marques connues…Les vendeurs vous accostent dans un anglais approximatif. « What do you need ? Bag or watch ? »
La cuisine peut être au choix excellente ou mauvaise lorsqu’elle est industrielle et vendue pour être rapidement consommée. Les boutiques des centres commerciaux concentrent toutes les marques de luxe mondiales.
Le temple du Boudha de Jade a résisté à la révolution culturelle chinoise. On peut y voir de multiples Boudha et quelques Guandi. Le chinois prie pendant que le touriste achète. Dans un parc, les statues de Marx et Engel conversant aux pieds desquelles des joueurs de cartes bien réels pariant leur argent nous rappelle mollement que la Chine était un pays communiste. De ce passé, subsiste un état autoritaire et interventionniste dont l’action est orientée vers le développement rapide. La censure sur certains sites internet (Facebook, Google, Le Monde,…) est facilement contournée.
Le smartphone est à la fois ludique (jeux et chats sont utilisés en permanence) et un outil facilitateur : des applications permettent de payer, de traduire immédiatement la voix en caractères chinois. Dans un restaurant de noodle chinois, le personnel ne parlait pas anglais. Afin de faciliter notre choix, un serveur nous a confié son smartphone. En le déplaçant au-dessus du menu, les caractères chinois étaient instantanément remplacés par des mots en anglais à mesure du déplacement de l’appareil. Bluffant ! Partout dans la ville, l’équivalent du Velib’ parisien…mais autrement plus pratique. Les vélos sont légers. On les prend et les laisse où l’on veut. Pour le débloquer, il suffit de passer son smartphone sur le QR code placé à l’arrière du vélo. On renouvelle l’opération à la dépose.
Shanghai n’est pas la Chine. Elle est mondialisée parce que gigantesque, moderne, productive et tournée vers l’extérieur. Elle préfigure le visage du pays le plus peuplé et bientôt le premier créateur de richesse de la planète. Nous remercions Nicolas et sa famille de nous avoir permis de le découvrir de visu.











....et le vrai ! 
Le faux....