L'île est secouée depuis des mois par la problématique requin. Depuis deux ans en effet, les attaques se sont multipliées sur la côte ouest et les surfeurs ou bodyboarders en sont les victimes. Plusieurs morts sont à déplorer, d'autres supportent à vie les séquelles d'un membre arraché par un squale. Les médias se font l'écho de la querelle qui enfle à mesure du décompte macabre. Le requin est un sujet de conversation quotidien, des manifestations pro ou anti-requin se déroulent, les invectives pleuvent sur les uns et les autres.
Il y a toujours eu des requins à La Réunion et des attaques depuis que l'Homme décida de coloniser cette île. Or dans la dernière décennie, on a oublié ce danger faute de drame, probablement du au fait que le requin était pêché et se faisait rare.
Plusieurs facteurs (qui demandent tous à être corroborées par des études) expliquent la recrudescence subite et tragique des requins mangeurs d'êtres humains. La réserve marine, de création récente préserve la ressource halieutique et donc fournirait un garde-manger facile aux requins attirés par l'aubaine. L'urbanisation près de la côte et son corolaire le rejet des eaux usées qui ne sont pas toutes traitées dans les stations d'épuration faute de capacité suffisante rend l'eau trouble et sale qui sied aux requins bouledogues, principaux accusés avec le requin tigre, des attaques. La sur-pêche en haute mer rabattraient les requins affamés vers La Réunion. Les tortues marines, élevées et mises à l'eau par Kelonia sont également en cause dans la mesure où elles constituent un met de choix mais non exclusif des requins. L'interdiction faite aux pêcheurs, même en dehors de la réserve marine de pêcher et de commercialiser ces grands poissons prédateurs de la fin de la chaîne alimentaire qui concentrent des métaux lourds et actuellement une bactérie toxique pour le consommateur expliquerait l'augmentation de la présence du requin sur la zone. Il y a enfin les activités de loisirs liée à la mer (baignade, surf, kite-surf, bodyboard, plongées, planches à voile, apnée,...) qui à mesure qu'elles se développent rendent la probabilité de rencontrer le requin de plus en plus forte. On parle également de comportements anormaux de certains squales qui se seraient sédentarisés sur les côtes réunionnaises plutôt que d'aller parcourir les mers comme le voudraient leurs gènes. Les causes sont donc multiples et d'autres encore non connues pourraient s'ajouter. Il faut du temps pour comprendre ce dont ne dispose pas les autorités.
La pression est forte en effet sur les municipalités et le représentant du gouvernement à qui l'on somme de régler le problème dans l'instant ! Depuis deux ans, les dispositions suivantes ont été prises : interdiction temporaires des activités nautiques suite à chaque attaque, installation de filets anti-requin devant les plages, surveillance par des apnéistes de certains spots, campagne de marquage de cent requins afin de comprendre leurs comportements. Aucune de ces mesures n'a fait baisser le nombre d'attaques et de morts. On assiste à une montée des passions peu propice à la réflexion , au dialogue et à la prise de décisions pérennes qui prendraient en compte la sécurité des pratiquants de loisirs des mers et la préservation du requin qui est menacé à l'échelle du globe.
Certains surfeurs exigent la pêche des requins sur la zone. Les écologistes se mobilisent contre cette décision. Le préfet, sollicité de toutes part, vient d'autoriser le "prélèvement" à des fins scientifiques de quelques individus pour vérifier la présence de la bactérie qui le rend aujourd'hui impropre à la consommation et dans un deuxième temps autoriser sa commercialisation (et de fait la pêche) si celle-ci avait disparu de l'animal. Chaque drame provoque une montée des tensions entre pro et anti-requin. Les uns traitent les écolo de fachos extrémistes préférant les animaux aux hommes et les autres les surfeurs d'égoïstes à courte vue privilégiant la pratique de leur loisir à tout prix plutôt que le développement durable. Entre les deux, le raisonnable à peu sa place...et est inaudible.
Les études sur d'autres sites au niveau mondial montre l'inefficacité des prélèvements, les espèces de requins en cause sont capables de parcourir des centaines de kilomètres. Ceux prélevés aujourd'hui ne sont pas ceux qui dévoreront demain un surfeur ou un baigneur confondu avec un mammifère marin. Les prélèvements tentent de calmer les passions immédiates nées de l'émotion des attaques. On connaît mieux, par la compilation de statistiques, quelles sont les conditions où ces requins attaquent. Il faut sans doute l'admettre afin d'adapter sa pratique de la mer (éviter certaines heures ou certains jours) même si cela n'est jamais une garantie contre un animal sauvage par nature imprévisible. Et il y a les décision qui auront des conséquences positives à long terme comme par exemple le rejet en mer d'eaux usées parfaitement retraitées ou l'élimination, si le suivi des marquages le montraient, d'un ou plusieurs individus sédentarisés.
En attendant, les plages en dehors du lagon se sont clairsemées au grand dam des restaurateurs du bord de mer, les surfeurs et bodybordeurs rongent leur frein, les écoles de surf sont quasi-fermées, la psychose s'est installées. Au delà des aspects immédiats et concrets de cette affaire malheureuse, c'est notre responsabilité individuelle qui est à revoir (suis-je prêt à accepter d'aller à l'eau à mes risques et périls et d'en assumer les conséquences? ) et notre rapport à la nature qui est à interroger : peut-on admettre que certains espaces soient impropres à l'homme ?
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